Le Donjon

Jennifer Egan

Stock

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    11 novembre 2015

    Chausse-trappes et fausses pistes...

    A moins d'être particulièrement bigleux, il n'aura échappé à personne que Jennifer Egan est l'auteur de "Qu'avons-nous fait de nos rêves ? ". Le bandeau sur la couverture est tellement grand qu'il relègue en arrière-plan le titre de ce roman : "Le donjon". Personnellement, j'ai éprouvé une certaine frustration, le mot donjon éveille tant d'images dans l'imaginaire collectif qu'il était possible de réaliser une couverture magnifique. Mis à part ce bémol, j'ai apprécié la lecture de ce livre, qualifié de "roman gothique des temps modernes" dans le résumé. Il réunit effectivement les grands classiques du genre : château médiéval, surnaturel, personnages tourmentés et atmosphère inquiétante. Il va cependant bien au delà.

    J'avais été séduite par l'humanité des personnages dans le premier roman de Jennifer Egan. Dans celui-ci, j'ai surtout été conquise par la construction du récit, par la virtuosité de la narration. Les premières pages nous invitent à suivre Danny, un trentenaire new-yorkais, lors de son arrivée nocturne au château que rénove son cousin Holly. Les deux hommes ne se sont plus vus depuis l'enfance, le "sibongarçon" alias Danny est devenu un "loser" assez pathétique, "accro" au téléphone portable, aux amis Facebook, aux contacts virtuels. Holly, l'enfant adopté au physique ingrat qui a mal tourné à l'adolescence, a fait fortune dans la finance et investi son argent dans la transformation du lieu en un hôtel de luxe.

    Le château est situé très vaguement dans un pays de l'Est. Il abrite Howie et sa famille, son "second" Mike et un groupe d'étudiants en histoire, main-d'oeuvre bon marché pour les travaux qui ont une connotation "préservation du patrimoine". Danny ignore pourquoi son cousin a désiré l'associer à ce projet. Il pense qu'il ourdit peut-être une vengeance contre lui, pour lui faire payer une "farce" imbécile qui date de leur enfance. Cette "farce" dont Howie a été le dindon a failli lui faire perdre la raison. Le lieu est étrange, labyrinthique, partiellement détruit et envahi par une végétation dense. Ambiance "Château d'Otrante" !

    Et soudain, le lecteur se retrouve dans une prison américaine, lors d'un atelier d'écriture. Une frêle jeune femme, Holly, anime celui-ci et n'en mène pas large face à des détenus au passé très chargé. Il semblerait qu'un des participants, Ray, soit l'auteur du début du roman, que Danny et Howie soient nés de son imagination. Les interactions entre élèves à propos des textes qu'ils rédigent montrent toute la puissance de l'écriture, qu'elle soit fictionnelle ou auto-biographique.

    La suite de "Donjon" mêle l'histoire qui se déroule au château et séances à l'atelier. Les deux sont intimement liés puisque l'un des prisonniers est celui qui donne vie aux habitants du château. Le vrai, le faux, le réel, la fiction, tout se mêle sans jamais s'emmêler jusqu'à la troisième et dernière partie du roman qui apporte un éclairage nouveau, celui de Holly, l'animatrice de l'atelier.

    "Le donjon" est un roman plein de chausse-trappes, de fausses pistes, qui se joue du lecteur pour son plus grand plaisir.