L'ombre de ce que nous avons été

Luis Sepúlveda

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    4 mars 2012

    D'ombre et de lumière

    Un jour de pluie à Santiago du Chili, trois anciens révolutionnaires rangés des grenades et des coups de main devisent en attendant leur chef. Mais "le Spécialiste" ne viendra pas. Il vient de mourir sur le coup, tué par un tourne-disque balancé d'un balcon au cours d'une dispute conjugale entre Concepcion Garcia et son mari Pedrito. Une mort absurde pour ce vieux briscard, rescapé des geoles sordides dans lesquelles tant de jeunes idéalistes ont laissé leur jeunesse et pour certains la vie.

    En attendant leur mentor, Lucho Arancibia, Lolo Garmendia et Cacho Salinas boivent, s'envoient des vannes et dévident leurs souvenirs de guerres perdues. Ces trois pieds-nickelés se racontent et se souviennent. "Quand es-tu rentré d'exil" demande Arancibia à Salinas sur le ton de celui qui demanderait d'un ton badin "Quelle cuisson pour ta viande"? Car "on ne revient pas de l'exil, toute tentative est un leurre, le désir absurde de vivre dans le pays gardé dans sa mémoire, nous rappelle Luis Sépulveda. Tout est beau au pays de la mémoire, il n'y a pas de dommages au pays de la mémoire, pas de tremblements de terre et même la pluie est agréable, au pays de la mémoire. C'est le pays de Peter Pan, le pays de la mémoire" (p. 35).

    Avec pudeur et drôlerie, l'auteur du Vieux qui lisait des romans d'amour se confronte une fois de plus aux horreurs du passé. "Je suis l'ombre de ce que nous avons été et nous existerons aussi longtemps qu'il y aura de la lumière" avait murmuré "le Spécialiste" en quittant son domicile pour se rendre à son rendez-vous. Ces hommes et ces femmes existeront aussi longtemps qu'il y aura de la lumière, des copains et du vin. Rouge comme le sang versé, "vigoureux, fort, âpre et rapeux" comme l'existence, fluide comme l'étoffe dont sont tissés les rêves des révolutionnaires. Aussi longtemps que les écrivains revisiteront avec brio le pays de Peter Pan, le pays de la mémoire.